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1980-85
1985-94
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1977
/ 80
L'Atelier
de l'Epee de Bois passe au theatre de texte.
Du fait de sa démarche et de
la nature de ses créations, I'Atelier de I'Epée
de Bois a été assimilé à un
théâtre de recherche expérimental.
II est progressivement devenu prisonnier de cette image
qui a été très vite associée à l'idée
d'un travail exclusivement mené en cercle fermé.
Cette perception de l'Atelier de l'Epée de Bois
est d'autant plus accentuée par son mode de
fonctionnement artisanal où toutes les créations
sont le fruit d'un engagement à la fois physique,
manuel et intellectuel de tous les membres de la troupe.
En outre, les réactions du public et les commentaires
de la presse suite aux différents spectacles,
ont souvent renvoyé l'Atelier de l'Epée
de Bois à ses propres questions, alors que sa
conception du théâtre est fondée
sur un véritable désir de partage. La
troupe a donc conscience de la nécessité d'un
changement dans son mode de créativité et
le recours au texte se présente comme l'alternative
la plus constructive : "Conscients que la
poursuite de notre démarche dans ces
conditions nous acculait au piège de se complaire
dans une certaine utopie théâtrale,
nous décidons de sortir de notre îlot artistique
et de confronter notre travail dit marginal, à un
public plus vaste en abordant le théâtre
de texte" 18V.
Le travail de recherche se poursuit
donc toujours de sorte que les interprètes se
confrontent en profondeur à un thème
précis, mais la présence de l'auteur
et de son texte ne permet plus de suivre exclusivement
les impulsions de chacun. Le terrain de la prise de
risque individuelle quitte donc le cercle exclusif
de l'intimité des interprètes pour s'engager
dans une rencontre personnelle avec Eduardo Manet et
sa pièce Madras. Ce texte est construit
sous la forme d'un huis clos se déroulant dans
une cave, où une famille de riches colons s'est
réfugiée un soir de révolution.
Dans ce salon de fortune, les différents membres
de la famille se querellent et se déchirent.
La mère est obsédée par le souvenir
de son amant disparu à Madras après y
avoir été fusillé un soir, ses
deux fils ont soif de meurtre et haïssent le peuple
qui est en train de se révolter. L'un des deux
ne rêve que de combats et illustre ses propos
en agitant constamment une épée : il
hésite longuement à se décider,
puis sort dans la rue et s'y fait tuer. Egalement présente,
la gouvernante n'espère qu'en son amant qui
se révèle être un vieux prêtre
cupide n'en voulant qu'à son argent. Enfin,
l'autre domestique rejoint la révolution, laissant
ainsi la mère seule et enfermée dans
sa folie. Au niveau scénographique, l'Atelier
de l'Epée de Bois imagine le salon d'une grande
demeure où il ne reste que quelques éléments
d'un riche mobilier d'autrefois et dont les murs reflètent
l'état d'enfermement de cette famille. Dans
le projet initial, les spectateurs sont installés
dans les fauteuils du salon où se trouvent les
personnages et la menace de l'extérieur doit
créer une situation de désespoir ne laissant
aucune possibilité de fuite : "La révolution
doit exterminer ce dernier résidu de cellule
fasciste. Les personnages ne doivent pas être
de simples détraqués mentaux. Il faut
qu'ils puissent dépasser leur aspect de folie
anecdotique pour retrouver leur démence sociale
et historique". A l'exception de quelques
aménagements liés aux conditions économiques
de la production - en guise de fauteuils les spectateurs
doivent se satisfaire de caisses en bois - la mise
en scène de Madras se tient à ce
qui avait été formulé en projet
et les spectateurs sont donc introduits dans ce salon
par petits groupes de quatre qu'un comédien
guide dans le noir à l'aide d'une lampe torche
: "Ce baroquisme hautain, macabre, n'est certes
pas dépourvu de complaisance. II fatigue et
fascine. Mais il nous brûle, impérieusement
et il n'ait peut-être pas de voyeurisme plus
voluptueux, qu’être pris dans les remous
des empires qui s’effondrent C -W1.
La pièce est créée le 29 novembre
1977 à l'Atelier de l'Epée de Bois et
elle est présentée au Festival de Nancy
l'année suivante. Depuis qu'Antonio Díaz-Florián
s'est engagé dans la mise en scène, c'est
la première fois qu'il se confronte à la
représentation d'un texte sans se livrer à une
déconstruction de la narration écrite,
mais les encouragements ne sont pas unanimes : "// en
découle une totale inadéquation entre
le texte de l’auteur et le jeu des comédiens
qui essaient sans cesse de s'y accrocher sans jamais
y parvenir totalement 192.
Cependant, le pas franchit en 1977
avec Madras ouvre une période de trois
ans durant laquelle l'Atelier de l'Epée de Bois
va chercher à sortir de ses propres murs pour
se confronter à un public plus vaste. L'objectif
vise également à apporter un éclairage
nouveau sur ses propres contradictions car l'envie
d'un théâtre de recherche s'oppose au
désir d'un véritable partage avec le
public: "Nous voudrions concrétiser
notre recherche d'une plus grande communion sociale,
conscients qu'il s'agit sans doute d'une utopie, nous
voulons cependant, au-delà même de cette
frontière, chercher une nouvelle raison de vivre
et de créer" 39. S'agissant
de la diffusion de ses spectacles à l'extérieur
de la Cartoucherie, la troupe se retrouve tout à la
fois confrontée à sa méconnaissance
de la diffusion théâtrale, à son
manque d'expérience dans les relations publiques
et à sa grande incompétence administrative.
L'Atelier de l'Epée de Bois avance donc pas à pas
dans le domaine de la production, tandis que la troupe
maintient son choix d'un théâtre de texte
et prend compte du public dès les premières
phases de la création du spectacle. Parallèlement à ces
choix, l'Atelier de l'Epée de Bois se met à la
recherche du public auprès des collectivités,
mais aussi en milieu scolaire où il mène
ses premières animations. Par ailleurs, de mai à juin
1978, l'Atelier de l'Epée de Bois accueille De
la 24ème à la 31ème nuit Shéhérazade
dit, d'après Les Mille et une nuits, par
Michel Hermon et Lucien Melki (Théâtre
Neuf).
A la rentrée 1978, l'Atelier
de l'Epée de Bois choisit d'adapter Les
Justes d'Albert Camus et va réussir à rencontrer
un public beaucoup plus large. A travers cette pièce,
l'auteur met en conflit l’importance accordée à la
vie des innocents face à la nécessité de
se livrer à des actes terroristes pour contribuer à la
libération des peuples. Mais dans son adaptation,
l'Atelier de l'Epée de Bois brise l’argumentation
rhétorique du texte tandis que la direction
d'acteurs atténue le caractère symbolique
des personnages pour les transformer en "possédés
dostoïevskiens". Les répétitions
sont complexes car l'investissement émotionnel
des interprètes, conduit souvent la troupe à s'éloigner
de la
Portée philosophique du message
de l'auteur: "Nous avons ressenti dans
le terrorisme contemporain cet appel désespéré que
tout combattant adresse au monde pour changer un ordre établi.
(...) Des lors nous avons fait subir au texte
un traitement particulier en provoquant des écarts,
des distorsions entre la parole et le jeu, entre la
théorie et la présence charnelle
du personnage, jusqu'à démythifier parfois
le terroriste et ainsi tenter de l'humaniser
d'avantage. (...) Nous n'avons pas respecté le
mot à mot du texte, mais nous I'avons interrogé tant,
qu'il est le reflet de nos questions et de
nos contradictions qu’une représentation
théâtrale ne saurait épuiser.
Pour la troupe, la création de ce spectacle
est un hommage rendu à la Fraction Armée
Rouge** et constitue donc un véritable acte
d'engagement politique. Le dispositif scénique
se réduit à une table de bois posée
au centre d'un grand plancher autour duquel les spectateurs
sont assis sur des bancs. Les quatre interprètes
se tiennent debout dans les angles du bâtiment
où ils retournent chaque fois qu'ils sont hors
scène. Les personnages sont tous vêtus « à la
russe » (bottes, blouses et casquettes pour
les trois hommes, longue jupe début de siècle
et caraco noir pour l'unique femme) et l'évocation
de la Bande à Baader est accentuée par
les lunettes noires que portent les trois interprètes
masculins. Enfin, pour définitivement arracher
ces personnages à leur carcan symbolique, le
jeu est extrêmement stylisé et le rythme
de la représentation est ponctué par
des sons de crécelle, des coups sur le plancher
ou des jeux de lumières. II appartient donc
au public de décider lui-même de ce qui
est juste : soit en s'attachant au radicalisme dont
ces personnages font preuve à travers leur engagement
révolutionnaire, soit en rejetant le recours
au meurtre par lequel ces mêmes personnages ont
la prétention de contribuer au bonheur de l’humanité.
Le spectacle est créé le 10 octobre
1978 à l'Atelier de l'Epée de Bois où il
est joué jusqu'en novembre. II connaît
un succès auprès du public, dont une
très grande partie est constituée de
scolaires. La troupe le donne en tournée de
janvier à mai 1979, avant de le reprendre à la
Cartoucherie jusqu'en juin. Durant la saison 1978/79,
l'Atelier de l'Epée de Bois reprend également Yuro en
novembre et Madras en décembre. En
1979, la troupe a le projet d'accueillir Jerzy Grotowski,
Copi et l'Orbe Théâtre, mais seul l'accueil
de Jean-Marie Patte (Théâtre du Jardin)
avec (Oedipe, d'après Sénèque
et Sophocle, peut aboutir de septembre à octobre
1979. Depuis six ans qu'il partage avec l'Atelier du
Chaudron le même bâtiment, l'Atelier de
l'Epée de Bois - qui regroupe alors une équipe
de huit permanents - a réussi à aménager
une salle de spectacle, une salle de répétition,
un petit foyer d'accueil, un local administratif ainsi
qu'un réduit pour y entreposer du matériel.
Mais si le paiement du loyer de même que la réalisation
des travaux sont menés de front par les deux équipes
occupant chacune la moitié du bâtiment,
des problèmes de cohabitation ont régulièrement
surgi lors des périodes de programmation, puisque
la salle de spectacle de l'Epée de Bois est
contiguë à celle du Chaudron197 et
qu'elles ne sont pas insonorisées : Il fallait
donc faire des plannings et comme Antonio était
très filou, il mettait des plannings qui n'en
finissaient pas, et même s'il n'avait pas ses
dates il en alignait sur des mois. Puisque nous n’avions
pas le réflexe de nous dire "on sera prêt
dans six mois donc on bloque" nous ne bloquions
pas et cela créait des situations où il
avait la salle tandis qu'il ne jouait pas, alors que
nous en avions besoin. Les deux troupes en arrivent
ainsi à des situations de partage extrêmement
crispées, où le fait de poser ne serait-ce
qu'un bout de bois entre un des murs du couloir, signifie
qu'il est la propriété de l'un des deux
groupes selon que le mur se trouve "côté Chaudron" ou "côté Epée
de Bois". Enfin, cette cohabitation est régulièrement
mise à l'épreuve par l'identité respective
des deux groupes à travers la vie quotidienne,
puisque l’Atelier du Chaudron est majoritairement
féminin alors que l'Atelier de l'Epée
de Bois est majoritairement masculin : "Quand
il y a des femmes dans la troupe, c'est un gros problème.
Aussi gros que de comprendre si on est né d'une
femme ou du Bon Dieu. C'est vrai que nous sommes une
société phallocrate et même qu'on
la développe ! La femme de l'Epée
de Bois, celle que nous demandons, est utopique...
et elle est phallocrate, parce que non seulement on
lui demande d'être femme, mais aussi homme. On
la traite comme un homme. II faut qu’elle travaille
comme nous, avec la même rigueur, sans aucune
pudeur... mais en plus on veut qu’elle soit femme
dans sa féminité, sa façon de
penser, qui est différente de la nôtre.
Parce que les filles qui sont garçonnes, on
ne les aime pas non plus !"*99. La
cohabitation entre les deux équipes devient
quasiment impossible lorsque la solution se présente
en juillet 1979 : Jean Dubuffet quitte la Cartoucherie
et, après accord des théâtres,
l’Atelier de l’Epée de Bois s'y
installe définitivement au printemps 1980. Avant
de franchir cette nouvelle étape, la troupe
crée Fuente Ovejuna de Félix
Lope de Vega. Basée sur un fait historique rapporté dans
les Chroniques de Radés en 1572, cette pièce
fut écrite en 1618 et relate une révolte
de paysans contre leur seigneur durant le siècle
d'or de l'Espagne colonialiste. Parmi divers abus de
pouvoir, ce seigneur oblige toutes les filles du village
de Fuente Ovejuna à devoir passer dans son lit
et c'est donc l’une d'entre elles qui, après
avoir été violée, décide
de se rebeller et conduit tous les paysans à le
poignarder avec elle. Cette pièce est l’une
des plus célèbres du répertoire
espagnol du XVIe siècle, mais elle
est une des rares qui, à cette époque,
décrit la révolte des petites gens et
possède par ailleurs une véritable tirade
féministe. Cependant, comme beaucoup d'autres
artistes de son temps, Lope de Vega, ordonné prêtre
en 1614 et par ailleurs membre de l'Inquisition, trouve
sa protection chez les puissants et sa pièce
rend donc également hommage à la royauté souveraine
ainsi qu'au centralisme des rois catholiques. Cette
fois encore, le travail d'adaptation scénique
de l’Atelier de l'Epée de Bois refuse
tout réalisme et tend à créer
une atmosphère extrêmement forte à l'aide
d'un minimum d'éléments scéniques: "Notre
propos est de présenter une relecture
d'une comédie héroïque où les
paysans s'expriment et agissent selon le langage
et le code de I'aristocratie". La représentation
est plongée dans un faux jour maussade où le
décor aux tons bruns et rouges évoque à la
fois l’étable et la prison, l’éclairage
mêlant flambeaux, bougies et projecteurs. Les
acteurs, qui jouent plusieurs personnages de suite,
portent tous un costume de base où sont rajoutés
quelques signes de distinction extérieure précisant
le personnage dont il est question. Le recours à une
musique d'harmonium rappelle continuellement la présence
de l'église, des rires remplacent les trois
coups censés ouvrir les différents actes
et des scènes de torture ponctuent
régulièrement l'action
sur un mode très symbolique: un livre servant
de presse pour broyer des bras, ou bien encore un chandelier
manié comme un fer rougi destiné à marquer
la chair. Le spectacle est créé au Théâtre
d'Evreux le 6 novembre 1979, puis il est présenté à la
Cartoucherie, en alternance avec une longue tournée
jusqu'en décembre 1979.
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