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1985-94
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1974
/ 76
L'Atelier
de l'Epee de Bois mene
un travail de recherche experimental.
Le 24 janvier 1974, l'Atelier de l'Epée
de Bois se constitue officiellement en association
loi 1901 ayant pour but "recherches et animations
théâtrales". Depuis sa création
en 1966, la troupe tente de définir le théâtre
comme un mode de vie où les membres de la création
théâtrale ne doivent plus pratiquer un
métier, mais insérer leur vie dans la
totalité de leur pratique artistique. A ce titre,
le spectacle que l'Atelier de l'Epée de Bois
crée en 1974 est donc l'aboutissement d'une
recherche, marquée par des étapes progressives
et s'articulant sur deux axes : un travail sur le thème
de la confusion vécue par chaque membre du groupe
dans sa relation à la société,
puis une lecture des textes de l'écrivain Eduardo
Manet afin de préciser les premiers éléments
de travail. En outre, les impératifs liés à l'aménagement
du bâtiment, le recours aux matériaux
de récupération pour la construction
des décors et l'absence de moyens pour l'acquisition
de costumes influent directement sur l'élaboration
de cette nouvelle création : "L'apport
créatif quotidien des comédiens et du
metteur en scène s'est conjugué avec
les nécessités économiques et
le bénéfice du hasard pour permettre à cette
expérience d'évoluer jusqu'à son
achèvement"3I7. Intitulé Locos, ce
qui en espagnol signifie « fous »,
ce spectacle développe le caractère étrange
d'un univers oppressif où trois personnages,
déchirés par la folie et la violence,
vivent de façon recluse. Cette situation particulière
est perturbée par l'irruption d'un personnage
extérieur à cet univers, à travers
lequel se focalise toute l'expression autodestructrice
des trois autres protagonistes : ils le placent donc
au centre de leur monde tout en étant conscients
que leur unique issue est la mort. A travers cette
création, l'Atelier de l'Epée de Bois
souhaite traiter de la répression subie au quotidien
par chacun de ses membres, mais à travers une
forme théâtrale dont chacun des interprètes
sait à quel point elle est marginale. Le dispositif
scénique de Locos est fait d'un immense
bac de 75 m2 et d'un mètre de profondeur
autour duquel les spectateurs sont invités à s'asseoir.
Cette fosse est remplie d'un mélange de sciure
et de sable, cinq sortes de plates-formes évoquant
des ruines de guerre sont réparties aux quatre
coins et au centre. L'action débute dans le
noir total tandis que résonnent des bruits de
pas affirmés. Une lueur bleutée apparaît
par une lucarne du plafond d'où tombe une échelle
de cordes par laquelle un homme descend avant de s'enfoncer
dans le centre de la fosse. Plongé dans la pénombre
par des éclairages en demi teinte ponctués
d'effets d'éclairs, le public découvre
un monde où il ne subsiste plus que violence,
souffrance et folie. Ainsi, deux hommes et une femme
tous trois vêtus de haillons, errent, gémissent,
hurlent et s'agressent mutuellement. Leurs mouvements,
d'une grande retenue, dégagent une puissante
force d'évocation théâtrale et,
durant l’une de ces scènes, le personnage
féminin se fait arracher son bébé par
les deux hommes qui le dévorent en ricanant
comme des bêtes. Partagés entre la peur
de la vie et celle de la mort, les trois personnages
n'ont jamais recours à un langage intelligible
et semblent être les derniers survivants d'une
civilisation détruite: "Ils sculptent
des mots dans un paysage qui s'effrite, des mots que
l'on ne comprend pas, c'est la destruction du langage,
du processus logique de la communication. Semblables à des
taupes qui auraient autrefois connu la lumière,
leur souffrance et leur terreur, leur violence exacerbée,
restent leur seul mayen d'expression, leur seule nécessité" Mlt.
L'homme, qui est descendu du toit, est attaché,
supplié, adoré puis renié par
les trois personnages qui tentent ensuite de s'enfuir
par l'échelle, alors que des coups de feu sont
tirés par la lucarne. Les trois corps restent
suspendus en se balançant dans le vide, puis
le personnage venu de l'extérieur se détache,
monte par l'échelle en les piétinant
et disparaît par la lucarne. La scène
est alors de nouveau plongée dans le noir tandis
que le bruit de pas affirmés résonne
dans toute la salle comme à l'ouverture du
spectacle. Créé le 23 avril 1974, Locos est
joué jusqu'au 22 juin, mais l'exploitation de
ce spectacle est assez difficile car le public n'est
pas nombreux: "La cruauté d’Artaud
est démultipliée à l'infini jusqu'à l'absurde.
Cela existe, voilà tout. Mais il faut le dire.
Et le voir, si l'on n'a pas peur des expériences
et le coeur bien accroché" J19.
L'Atelier de l'Epée de Bois est effectivement
un groupe qui s'efforce de réaliser un travail
théâtral expérimental dont l'esprit
a pu se dessiner depuis la création de Martyrs.
En 1975, la troupe compte huit membres
actifs qui participent bénévolement aux
différents tâches de création et
qui espèrent à l'avenir pouvoir vivre
de leur travail. Dans le même temps, certains
comédiens diversifient leurs activités
et créent deux spectacles au Théâtre
pour Enfants du Parc Floral : Dulcinée de
mars à mai, puis Le Voyage au pays de Gaspard de
novembre à décembre. En février
1975, l'Atelier de l'Epée de Bois réalise également
un long métrage (16 mm noir et blanc) intitulé Etat
des lieux Nekros dont le tournage se fait en Normandie
et occasionne une animation à Lillebonne. Enfin,
la troupe qui tient à ouvrir son lieu à d'autres
compagnies, accueille le Théâtre Go d'octobre à novembre
1974 avec Le Pouvoir se conserve dans la fraîcheur
des tombes, puis le Théâtre Éventuel
de décembre 1974 à janvier 1975 avec Le
Chevalier à la Charrette: "Nous serions
heureux que vous puissiez voir ce travail. Si leur
conception du théâtre est différente
de la nôtre, voire à l'extrême
contradictoire, nous nous sentons cependant liés
dans cette aventure théâtrale qu'ils partagent,
ainsi nous les accueillons dans nos locaux de la Cartoucherie" 12(1.
A cette époque, la composition de la troupe
a déjà beaucoup changé par rapport à ses
débuts, mais chaque création est toujours
séparée par une longue période
de recherche afin que le spectacle aboutisse parfaitement à la
ligne définie en commun au sein de la troupe.
L'Atelier de l'Epée de Bois préfère
donc prendre son temps, plutôt que de céder
aux logiques économiques traditionnelles de
production théâtrale dont il est par ailleurs
parfaitement exclu puisqu'il est tout juste en train
de se faire connaître : "/r/, ce n'est
pas seulement un lieu de répétition :
c'est une maison, nous sommes chez nous. Nous sommes
continuellement en train d'arranger quelque chose,
de repeindre les extérieurs, pour faire en sorte
que le théâtre soit toujours en état
de marche". Au commencement de chacune des
créations, la troupe choisit un thème
en relation directe avec les motivations du groupe,
et pour lequel les interprètes construisent
des liens en travaillant ensemble à l'élaboration
d'une forme théâtrale. Des petites scènes écrites
ou choisies par Antonio Díaz-Florián
varient au fur et à mesure qu'elles sont sélectionnées, élargies
ou éliminées. L'acteur n'a pas de rôle
préalablement attribué puisqu'il est
invité à jouer en fonction de sa propre
vie et de la façon dont il voit le monde. Enfin,
les décisions liées au dispositif scénographique
se prennent également de façon évolutive
durant les répétitions : "Nous
sommes des nomades sociaux, qui, pour pouvoir s'exprimer,
doivent construire une baraque ensuite ; on n'achète
jamais de préfabriqué, seulement de la
matière brute. On fait des exercices de karaté et
de kendo, exercices de base orientaux qui peuvent servir
de discipline physique et spirituelle : tous les mouvements
sont des éclats et pour exprimer un grand cri
l'art martial est nécessaire" 322.
L'année suivante, l'Atelier de l'Epée
de Bois franchit un pas dans les réseaux de
diffusion professionnelle, puisqu'il bénéficie
d'une coproduction du Festival d'Automne. Intitulée Toro, la
nouvelle création de l'Atelier de l'Epée
de Bois n'use toujours pas d'un langage parlé intelligible
et fait de nouveau l'objet d'une importante recherche
scénographique. Cette fois encore, le dispositif
a l'allure d'une fosse sur laquelle les spectateurs
ont une vue plongeante. C'est un rectangle de 60 m2 dont
les parois de cinq mètres de hauteur sont faites
par des murailles de sacs, comparables à ceux
dont on se sert pour consolider les tranchées
en temps de guerre. A l'intérieur de ce grand
volume, différentes murailles forment un dédale
de lignes aux allures de camp militaire et les spectateurs,
répartis sur le haut des deux largeurs, dominent
cet enclos rectangulaire. Au centre se dresse une poutre
brisée sur laquelle est posée une bougie
allumée, au sol une immense flaque rouge. S'éclairant
de torches, quatre personnages font leur entrée
: trois d'entre eux, vêtus de guenilles en toile
de jute, portent au dos un épais pilori de bois
retenu par des cordes, tandis que le quatrième,
qui semble être leur chef, en partie infirme,
se déplace exclusivement avec des béquilles.
Tous leurs échanges sont empreints de la violence
typique des relations dominant/dominés et dans
cette espèce d'arène à laquelle
le titre du spectacle renvoie, les quatre personnages
s'attaquent, se défendent, se volent, se commandent,
obéissent, s'entraident, se révoltent
et se torturent les uns les autres. Ils apparaissent
comme les prisonniers d'un monde étouffant leurs
cris et réduisant toute leur attention à des
objets rappelant l'existence d'un ailleurs. Ainsi,
un livre déchiré et des lettres dont
les enveloppes portent les marques de l'aéropostale
sont les supports de rites macabres où se mêlent
tour à tour le feu, un coq, un crâne humain
ou bien encore un bol de sang. A travers cette dénonciation
des violences, qui évoquent à la fois
les dictatures et les prisons, mais également
le combat des hommes pour leur liberté, le public
se retrouve profondément touché par des
images qui en appellent plus à la sensibilité qu'au
raisonnement ; "Toro ne montre pas une agonie
mais les sursauts pathétiques, les déchirants
effets de la survie. C'est à peine un spectacle
malgré sa terrible beauté et malgré le
contrôle des comédiens sur leurs actes.
C'est la vision d'un danger mortel venu du passé et
toujours présent í23.
Le spectacle est créé à l'Atelier
de l'Epée de Bois le 8 octobre 1975 où il
est programmé dans le cadre du Festival d'Automne à Paris.
Bien qu'il laisse bon nombre de spectateurs dans un
très grand état de choc, certains lui
trouvent de décevantes similitudes avec Akropolis que
Jerzy Grotowski avait présenté en 1967
au Théâtre de l'Epée de Bois. Mais
pour Antonio Díaz-Florián, ce spectacle
est en fait l'expression quasi viscérale des
préoccupations de la troupe: "C'est
l'expression de notre désespoir, de notre révolte
contre la société. (...) Les
spectateurs sont des amis, invités à partager
un moment de notre vie. Pour que la communion entre
eux et nous se fasse, il ne faut pas qu'ils soient
très nombreux. Nous avons limité les
places à quatre-vingt-dix. (...) L'activité politique
est l'activité supérieure, ce n'est
pas avec le théâtre qu'on va changer quelque
chose et ce que je souhaite, c'est que les membres
de la troupe deviennent un jour révolutionnaires" 324.
En 1976, l'Atelier de l'Epée de Bois maintient
son identité de théâtre de recherche,
mais opte pour l'espace vide et inclut pour la première
fois le texte écrit sous la forme d'une narration
interprétée par un des comédiens
et à laquelle les deux autres donnent une forme
scénique. Le point de départ de ce nouveau
spectacle est une lecture du journal de Che Guevara
dans lequel ce dernier annonce sa mort et l'échec
de son entreprise révolutionnaire en Bolivie.
Le déroulement chronologique débute par
le jour de sa mort, pour progressivement revenir sur
les différentes étapes de son combat
: "Nous avons été confrontés à un
sujet ambitieux, celui d'exprimer par des images le
sentiment qui nous lie aux morts dans la lutte. Notre
mémoire nous restitue cette violence et cet
espoir qu'ils ont su donner au monde. (...) Dans un
premier temps, le cri s'est installé en nous,
mais au cours du travail, ce cri est devenu silence
d'espoir. (...) Ce qui n'était à I'origine
qu'un exercice nous a permis de réaliser essentiellement
et sans doute pour la première fois un travail
d'atelier. En ce sens, tout a été construit
avec lenteur, sans se préoccuper du stade ultime
de la représentation au public" 12\
Le texte définitif est écrit par Antonio
Díaz-Florián. La grande salle de l’Atelier
de l'Epée de Bois est utilisée dans le
sens de la longueur, l'espace est pratiquement vide
et les spectateurs sont installés sur des gradins
en relation frontale par rapport à l’aire
de jeu. A l'avant-scène, deux autels faits de
pavés érodés sont disposés
des deux côtés, un troisième, d'environ
un mètre de hauteur, est installé au
centre de l'espace. Au fond se trouve, côté jardin,
un échafaudage soutenant à un mètre
du sol un plateau sur lequel sont installés
une table ainsi qu'une chaise et, côté cour,
un échafaudage maintenant à deux mètres
de hauteur une sorte de cage. Le sol est recouvert
de cailloux blancs, de sable et de pierres calcinées,
tandis que les murs sont maculés de traces d'écoulements.
La représentation débute par l'entrée
d'un personnage tenant sous le bras une radio diffusant
de la musique et allant s'asseoir à la table.
II fait alors à haute voix la lecture du texte
de Che Guevara sur un ton d'une extrême froideur
réduisant à l'état de paroles
affables la charge du message révolutionnaire.
Durant toute cette lecture, un second
personnage muet et immobile se tient debout dans
la cage installée côté cour. Enfin,
dans le même temps, une longue silhouette noire
encapuchonnée et sans visage se déplace
au ralenti dans le grand espace nu qui est plongé dans
la pénombre. Ce troisième personnage
s'exprime en quechua (langue de la cordillère
des Andes) et symbolise ainsi les cris de révolte
des paysans les plus pauvres de cette région
que Che Guevara avait voulu soulever : "Le
théâtre, c'est la contradiction entre
ces trois présences, entre ces
trois lectures. Le condamné là-haut qu’il
faudrait arracher à sa cage.
Le jeune homme saisi dans la lecture. Il a pénétré dans
cet espace funéraire muni d'une mémoire
autre pour lire ce qui est écrit par
les mots, mais il va fuir ce qui est écrit par
le piétinement. Car ils lisent
l'écrit,
mais ils ne lisent pas les cris" 126.
Intitulé Yuro, ce spectacle est créé à l'Atelier
de l'Epée de Bois le 15 septembre 1976. II est
ensuite présenté au Festival de Palerme
en 1976, puis au Festival de Nancy en 1977, année
où ce retour du texte dans l'univers théâtral
de l'Atelier de l'Epée de Bois va s'accentuer
de façon progressive et déterminante.
Enfin, du 3 au 27 mars 1976, l'Atelier de l'Epée
de Bois accueille The Penny arcade peep show d'après
William S. Burroughs par le Plan K, troupe de théâtre
expérimental de Belgique.
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